Publications

DIVERS : FLAUBERT, ROBBE-GRILLET, BECKETT, GENET, SARRAUTE, BONNEFOY, POUSSIN, DOSTOÏEVSKI, GRACQ, KAFKA, LEIRIS, MAGRITTE
SUR LITTÉRATURE ET PEINTURE :
La Figure du monde, pour une histoire commune de la littérature et de la peinture, L’Harmattan, 2008

ARTICLES :

SUR DIDEROT, HOFFMANN, BALZAC, FROMENTIN,  ZOLA, WILDE, MIRBEAU, PROUST, BUTOR/DELVAUX, BACON/ELIOT…
– SUR PIERRE MICHON
L’atelier Michon, Presses Universitaires de Vincennes, février 2019
RECENSIONS  (HISTOIRES LITTÉRAIRES, FABULA, CAHIERS PIERRE MICHON n°1) :
https://histoires-litteraires.fr/comptes-rendus/n78/    https://www.fabula.org/revue/document12680.php#bodyftn7

Jacques Le Gall, Cahiers Pierre-Michon n°1 p. 235-240

Annie Mavrakis, L ‘Atelier Michon, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « L’imaginaire du texte », 2019.

Ce livre reprend en partie, remaniés ou non, le chapitre d’un livre publié en 2008 1 et plusieurs articles parus entre 2009 et 2017. Les chapitres inédits et notamment l’avant-propos lui confèrent toute sa cohérence. Annie Mavrakis ne méconnaît ni ne sous-estime les approches possibles – aussi nombreuses que diverses – de l’œuvre de Pierre Michon. Mais elle a choisi d’interroger la « profonde nécessité non dite» qui comman­derait l’ensemble de l’œuvre. Ce qu’elle cherche – et elle reprend ici une formule de Proust pour éclairer celle qu’elle a prélevée dans Le Roi vient quand il veut – c’est l’« instinct du constructeur » qui agence par avance et en séries – non sans doutes, non sans inquiétude – des « blocs de prose » qui, depuis le commencement, sont là dans « l’atelier Michon », mais que l’ écrivain ne cesse de remettre en chantier. Le premier chapitre, « Vaincre le démon de l’absence », fait retour sur Vies minuscules, le premier livre, celui grâce auquel Michon a pu transformer le désastre en prouesse et « sauver sa peau ». Ce que Pierre Michon appelle « la joaillerie verbale qui éclate dans les étranges noms propres des aïeux» (VM, 34) y fait l’objet d’une belle étude. De même que la confrontation de la « vie de P. M. » avec la chronologie des « vies ». Mais qu’il s’agisse d’onomastique ou de chronologie, la question centrale demeure sous le regard d’anges et de spectres (parmi eux Rimbaud est les deux à la fois) celle du « devenir écrivain 2 » du narrateur. Ce narrateur que tourmentent ses origines et le désir d’œuvre sait qu’il faudra un miracle pour vaincre « l’ absence irrémédiable » (VM, 83), « l’atavisme de l’échec » (48), l’impouvoir langagier : pour écrire. Tiraillé entre désespoir et euphorie, déréliction et « prétentions » (c’est le septième mot des Vies minuscules), il sent qu’un salut est tout de même possible : que les « choses peuvent constamment se retourner dans un sens ou dans l’autre » (59), que l’œuvre vaut d’être tentée et même qu’elle est en train de se construire, que le livre peut advenir. Dans ce « climat d’assomption, voire de consécration3 », après la « sybille Élise » (60), l’Achille des « Frères Bakroot » ou le misérable père Foucault, après tant d’ absents et de faillis, l’abbé Bandy joue un rôle d’intercesseur, de messager : « d’ange de la littérature » (57). Tout comme Madeleine, la sœur morte, « la petite morte, derrière les rosiers » (VM, 246).

« Le Triptyque de Saint Vincent » reprend, très remanié, un chapitre du livre qu’Annie Mavrakis a consacré à « une histoire commune de la littérature et de la peinture ». On comprend combien l’œuvre de Pierre Michon ne pouvait que la passionner. Car, dès Vie de Joseph Roulin, la peinture est mise « à l’orée du texte » (68). Van Gogh est « la clé de la série qu’il inaugure » (71). Il en est aussi la figure maîtresse. Celui qui, « par sa place dans l’histoire de l’ art » (80) – et le prisme de la biographie oblique aidant – dévoie et peut-être périme la question « qu’est-ce qu’un grand peintre ? ». Après Van Gogh, la série se poursuivra avec Goya et Watteau, deux peintres qui ont accédé à la reconnaissance, ainsi qu’avec Lorentino d’Arezzo et Desiderii, ces rapins sans œuvre. Le destin contrasté de ces quatre-là permet de s’interroger sur le couple élu/réprouvé et tient lui aussi du mystère, comme le destin de Van Gogh. Au préalable, Annie Mavrakis aura montré que ces cinq « fictions sur les peintres » (la formule est de Michon) fonctionnent comme un polyptyque ou plutôt comme un triptyque. Que les éléments de ce triptyque sont reliés entre eux « de façon binaire ou triangulaire » (73) ainsi que « par la présence de l’ écrivain, voix intermittente et silhouette cachée, narrateur et personnage, Piero ou Pierrot (comme le Gilles de Watteau) ». Que « le « Triptyque de Saint Vincent » », pourtant centré sur la question du salut, prépare Les Onze » (89), centré sur la question « de l’art, la possibilité de l’art » (72).

Rimbaud le fils (publié en 1991) reprend bien des question déjà remuées dans les livres antérieurs, par exemple celle qui est posée dans Vie de Joseph Roulin : « Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ? » (JR, 72) Ou cette autre : « Comment rendre compte du mystère de l’élection quand toute reconnaissance paraît arbitraire ou aléatoire?» Ou cette troisième : comment devient-on « quelqu’un de plus grand que soi » ? Mais Rimbaud (comme Van Gogh pour la peinture) occupe chez Michon une place à part. Il n’a pas seulement cassé la « tringle » de l’alexandrin. Il a démoli la « baraque » des anciens et plus encore celle des modernes. Il incarne le « deuil du père ou de la filiation heureuse en art 4 ». Fils sans père, Rimbaud est celui qui a nommé « la récusation du père » (95). Que peut-il bien se passer « quand on ne peut plus être un fils » ? (94) Or, personne n’a vu « l’enfant de Charleville, le fils de Vitalie Cuif, devenir Arthur Rimbaud » (98). Impossible de s’appuyer sur des témoins fiables, eussent-ils pour nom Izambard, Demeny ou Banville, lequel se tient là comme le Gilles de Watteau, les bras ballants, aussi incapable d’atteindre Rimbaud que de lui transmettre ce que Michon appelle « la petite bouture ». Impossible de pratiquer une biographie oblique du type de celles qui ont prévalu dans Vies minuscules ou dans Vie de Joseph Roulin. Le « je » qui parle dans Rimbaud le fils, c’est – personnellement – l’auteur. C’est bien « à partir de lui-même, de son propre système » (101) que Michon se permet d’ajouter son « grain de sel ». Libéré des « vols noirs du concept » (VM, 220) et du « formalisme stérile » (105) de la Théorie, il croit pouvoir dire qu’une voie d’accès à l’orphelin dans lequel il s’est imprudemment reconnu se trouve du côté de la mère 5 : la Carabosse de la Vulgate, c’est aussi la « mère du texte». Contre la Vulgate et bien sûr le marché, Pierre Michon, dans Rimbaud le fils, dit sa « foi dans les « puissances » qui veillent malgré tout à la relance (16) de la littérature, à la persistance du tam-tam poétique » (16).

Au centre du livre d’Annie Mavrakis, il y a Les Onze. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que s’y retrouvent bien des thèmes et motifs chers à Michon. Mais aussi parce que l’exégète a pu suivre la reprise et l’achèvement de ce livre dont on sait que la genèse fut passablement tourmentée. Les Onze n’était pas achevé que, encouragée par l’auteur en personne, Annie Mavrakis écrivit en 2008 une étude qui ne pouvait porter que sur les chapitres 1, 2 et 3 et qui fut publiée en juin 2009. Cette étude est reprise telle quelle sous le titre « Corentin le fils, le sixième peintre de Pierre Michon ». Or l’étude parue dans Dalhousie French Studies est complétée voire corrigée par un article intitulé « Devant le tableau » écrit juste après la parution du roman et publié dans la revue Poétique (n° 161, février 2010). Non, Corentin n’était pas le sixième peintre de Pierre Michon. Les Onze procèdent à ce qu’Annie Mavrakis, appelle, au sens rimbaldien, un « dégagement » (16). L’écrivain n’a pas seulement construit son roman autour d’un artiste que le miracle et la « grâce » sauvent du désastre. On ne verra pas François-Elie Corentin en proie aux affres et aux « galères » de la création. La commande est tombée sur lui au moment où on avait besoin d’un peintre qui sût peindre les dieux et les héros. Le peintre exécutera la commande en cinq sec et disparaîtra après ce coup de force. Il n’aura été qu’un instrument de l’Histoire. Quant au tableau, il lui permettra de revancher les damnés du Limousin, ses ancêtres calibanesques de boue et de sang. Car le tableau fait voir plus que ce qu’il « est censé représenter » (136). Il fait l’Histoire, c’est « l’Histoire en acte, au comble de l’acte de terreur et de gloire qui fonde l’Histoire» (O, 133), c’est« la présence réelle de l’Histoire » quand « l’art baise la politique 6 ». Pour voir, pour faire voir, il faut inventer. Ajouter, par exemple, douze pages à l’Histoire de la Révolution française de Michelet. Pour lire, pour écrire, il faut faire que souffle le grand vent des « forces » et des « puissances » (O, 137). .

Le chapitre « L’autre peintre de la Terreur » propose une relecture du roman d’Anatole France Les Dieux ont soif à la lumière des Onze. De fait, les deux textes ont pour cadre historique les années 1793-1794, pour domaine la peinture, pour héros deux citoyens-peintres au service de la Convention. Or en pleine Terreur révolutionnaire, François-Élie Corentin parvient à donner toute sa mesure tandis que, confronté à la même situation politique, Évariste Gamelin sombre « dans le gouffre (O, 50, 53, 55). Pourquoi? Parce que l’un est touché par la « grâce » (ce miracle est-il juste ou injuste ?) et l’autre non. Parce que dépositaire d’une hérédité clivée, Corentin réunit en lui la fée (maternelle) et l’ogre (paternel), l’églogue et la guillotine, le comble et le manque (qu’annonce le Combleux de l’enfance) : son tableau tranche ainsi avec la soumission de Gamelin au néoclassicisme et au fanatisme, à un érotisme désenchanté. Parce qu’avec Les Onze, Michon sauve moins un artiste que l’Art. Oui, la réussite de François-Élie Corentin permet de mieux comprendre la disgrâce et l’échec d’Évariste Gamelin. Oui, l’œuvre, ça vient comme d’une commande à la fois tyrannique et angélique : ça tombe du ciel.

Le pénultième chapitre7  est consacré au motif des reliques, un motif présent des Vies minuscules (surtout dans « Vie d’Antoine Peluchet ») aux Onze en passant par Abbés ou Mythologies d’hiver (on se souvient de Barthélémy Prunières et de Simon). Dans Les Onze, les saints ossements découverts par Corentin au cours de la scène de la commande du tableau, il faut les jeter au feu. Ce n’est pas la première fois qu’un sacrifice de cet ordre est consommé, mais là, les reliques semblent vraiment de trop : parce que« l’ œuvre est de race ogresse » (RF, 93), elle exige le sacrifice des os. Avec Les Onze, la page des « vies » semble définitivement tournée : la « vie » de Corentin n’est plus centrale et Pierre Michon a pu supprimer, pourtant écrite, une troisième partie qui eût, peut-être, arrondi la « tartine » biographique. Avec Les Onze, « il faut faite place nette pour le chef-d’œuvre à la fois tangible et énigmatique, dont Lascaux [ … ] est chez Michon l’emblème récurrent. » (158). La formule des Vies minuscules (« des os et du texte autour » 8)ne tient plus. Les « puissances » seules font advenir l’œuvre.

Le dernier chapitre « Il faut en finir » (cet intitulé est l’incipit de « Vie de la petite morte ») sert de conclusion au livre d’Annie Mavrakis. Pour Pierre Michon, la « chute » est, d’évidence,  « aussi importante que l’incipit » (76). Mais comment l’ écrivain décide-t-il d’ « en finir » avec un texte et de s’en détacher? Pourquoi une troisième partie des Onze a-t-elle été abandonnée (Annie Mavrakis a proposé une explication dans le chapitre précédent) ? Pour quelle raison les derniers chapitres de L’Origine du monde ont-ils été exclus de La Grande Beune et seront-ils publiés quelque jour? Bondir d’un seul élan de l’incipit à la « chute », est-ce faisable? La « grâce » va-t-elle jusqu’à prévenir celui qu’elle a touché qu’une suite n’a plus lieu d’être? À quoi « l’instinct de constructeur » de l’écrivain reconnaît-il que son œuvre fait voûte? Annie Mavrakis passe en revue les chutes d’une douzaine de textes. Sa conclusion, c’est qu’une « pulsation dialectique de l’ouverture et de la fermeture, du flux et de la contradiction se manifeste presque toujours dans l’explicit michonien » (183). Clos sur eux-mêmes, les livres de Pierre Michon n’en demeurent pas moins tendus vers le monde du dehors : même quand des yeux se ferment ou que la mort frappe, les « puissances » veillent. Les « puissances » : selon Annie Mavrakis, tout au long de son livre, la « profonde nécessité non dite », nécessité à l’œuvre et de l’œuvre.

Jacques Le Gall

NOTES

  1. Annie MAVRAKIS, La Figure du monde. Pour une histoire commune de la littérature et de la peinture, Paris, L’Harmattan, 2008.
  2. Jean-Pierre RICHARD, Chemins de Michon, Lagrasse Verdier/poche », 2oo8, p 76.
  3. , p. 34.
  4. C’est ainsi que P. M. définit la Modernité dans Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature, textes réunis et édités par Agnès Castiglione avec la participation de Pierre-Marc de Biasi, Paris, Albin Michel, 2007, p. 54.
  5. Pierre Michon a plusieurs fois souligné tout ce qu’il devait aux femmes (grand-mères ou mère) de sa famille. Notamment dans « Vie d’Eugène et de Clara » : « en effet, intellectuellement, et pour la branche maternelle comme pour la paternelle, la femme était incomparablement supérieure à l’homme. » (VM, 73) « La métaphysique et le poème me sont venus par les femmes. » (VM, 74).
  6. Entretien de Pierre Michon avec Daniel Martin, La Montagne, 7 juin 2009.
  7. « Au feu les reliques! » : une version raccourcie de ce chapitre figure au sommaire du Cahier de L’Herne consacré à Pierre Michon en 2017 (p. 292-296).
  8. Le Roi vient quand il veut. Propos sur la littérature, cit., p 301.

2) AUTRES  

EN RAPPORT AVEC LA THESE (Judith et Salomé, une gémellité paradoxale)

  • « Judith ou Salomé? », L’Ecrit-Voir, n°9 (1987)
  • « Judith à la rencontre de Salomé », Storia dell’arte, n° 71 (1991)