Méfiez-vous des critiques qui, soit ne voient pas les films et en parlent par ouï-dire, soit ont décidé à l’avance que ce serait des chefs-d’oeuvre (voir le cas du Gamin au vélo, qui est un petit film, d’ailleurs idéologiquement douteux)  et (soyons charitable) s’aveuglent complètement. Je ne veux pas savoir à quelle catégorie appartient l’auteur du dithyrambe publié par Télérama sur Un amour de jeunesse mais vraiment, il faut n’avoir rien vu pour encenser un navet que rien ne sauve : ni le jeu, au mieux convenu mais plus souvent pitoyable, comme celui de l’amant vaguement exotique de la lycéenne – non, des amants exotiques puisque le second est norvégien! -, ni les lieux, d’un boboïsme confondant : atelier chic relooké par un architecte, vieilles pierres type Marie-Claire maison, etc. Et l’indigence des dialogues! On souhaite à chaque plan que ces malheureux se taisent un peu! qu’ils arrêtent de se dire en direct ce qu’ils RESSENTENT au fond de leur petit coeur si sensible. C’est pas mal aussi le silence! Je n’ai pas pris de notes, mais je me suis quand même tapée les 110 mn de cette guimauve que Jacques Morice (dans Télérama) compare à rien moins qu’à … La nouvelle Héloïse : « Ils ont le regard fiévreux et le geste tendre de personnages d’un autre siècle s’exprimant à coeur ouvert comme dans un roman de Rousseau ». Le critique, manifestement contaminé par le style cucul du film s’extasie ainsi à toutes les lignes. Lisez vous-même, je n’ai pas le courage de le citer. Oui, il faut n’avoir rien vu pour comparer à du Rousseau des lettres « d’amour » qui semblent sorties du courrier du coeur de votre magazine préféré, les propos de personnages sans autre profondeur que leur amour « absolu » autoproclamé et leurs « sentiments » sublimes ; ceux d’adultes sentencieux et incroyablement « raisonnables ». La mère, récemment plaquée par le père (quel pied! pouvoir enfin buller en paix devant sa télé!) implorant sa fille elle-même abandonnée (on n’en croit pas ses oreilles) de « faire le deuil de cet amour »! ; le futur époux de ladite fifille – architecte réputé -  qui n’en revient pas d’avoir mis cette minette dans son lit.
Tout est fabriqué, tout sonne faux. Le tableau de J.-E. Blanche dont le jeune homme issu apparemment d’un milieu plutôt populaire (quoique… on ne sait pas trop, la maison est bien chic pour des ouvriers tout de même) aurait hérité, les discours pseudo-« branchés » sur l’architecture qui semblent recopiés d’un manuel et récités par des gens qui n’y comprennent rien, le voyage d’étude qui permet au prof (si discret, si comme il faut, avec sa mèche blonde) de se rapprocher de l’étudiante. Le ridicule est à son comble quand nous voyons ces derniers visiter un bâtiment, quelques mots techniques et même un petit croquis étant censés nous faire croire qu’ils sont bien ce qu’ils sont censés être. Et je ne parle pas des cheveux qui raccourcissent puis rallongent pour marquer le passage du temps, lequel a laissé intacte la niaiserie de l’héroïne.
On se demandera peut-être pourquoi réagir si violemment à l’éloge d’un film nul. Il y a une raison, c’est le mépris avec lequel, dans les colonnes de ce magazine ou d’autres journaux d’ailleurs, on a pu parler d’oeuvres incomparablement plus profondes et justes comme le beau Route irish de Ken Loach, saccageant la carrière d’un film exigeant et bouleversant. Ce n’est qu’un exemple de la légèreté des critiques professionnels mais il est particulièrement révélateur. A cette légèreté, à cette paresse qui fait préférer les brouillons de bluffeurs sans consistance aux films des plus grands de nos cinéastes (je pense aussi à Hereafter de Clint Easwood, magnifique dans ses faiblesses mêmes), je dois de bien mauvais moments comme les insupportables deux heures de Black swan.