« and what rough beast… » Bacon/Yeats (traduit par Bonnefoy)

Etude d’Erynie

Je suis, comme beaucoup, une grande admiratrice des traductions d’Yves Bonnefoy, en particulier celles à partir de l’anglais, que je connais mieux que les traductions de Pétrarque ou de Leopardi. Un heureux hasard a voulu que je tombe sur sa traduction de « The second coming« , un poème datant de 1919 dont Francis Bacon citait souvent les deux derniers vers : « And what rough beast, its hour come round at last, / Slouches towards Bethlehem to be born? » Vers mystérieux et inquiétants, particulièrement si on les associe à Bacon, à ses Erynies et autres figures hybrides, à l’atmosphère de cauchemar de certains de ses tableaux. Mais il faut lire le poème tout entier pour mesurer la puissance étrange de ce texte et son caractère incroyablement « baconien ». Le voici donc, accompagné de sa belle traduction par Yves Bonnefoy (« Le faucon ne peut plus entendre le fauconnier ») :

THE SECOND COMING

Turning and turning in the widening gyre
The falcon cannot hear the falconer;
Things fall apart; the centre cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world,
The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere
The ceremony of innocence is drowned;
The best lack all conviction, while the worst
Are full of passionate intensity.

Surely some revelation is at hand;
Surely the Second Coming is at hand.
The Second Coming! Hardly are those words out
When a vast image out of Spiritus Mundi
Troubles my sight: a waste of desert sand;
A shape with lion body and the head of a man,
A gaze blank and pitiless as the sun,
Is moving its slow thighs, while all about it
Wind shadows of the indignant desert birds.
The darkness drops again but now I know
That twenty centuries of stony sleep
Were vexed to nightmare by a rocking cradle,
And what rough beast, its hour come round at last,
Slouches towards Bethlehem to be born?


LE FAUCON NE PEUT PLUS ENTENDRE LE FAUCONNIER

Tournant, tournant dans la gyre toujours plus large,
Le faucon ne peut plus entendre le fauconnier.
Tout se disloque. Le centre ne peut tenir.
L’anarchie se déchaîne sur le monde
Comme une mer noircie de sang : partout
On noie les saints élans de l’innocence.
Les meilleurs ne croient plus à rien, les pires
Se gonflent de l’ardeur des passions mauvaises.
Sûrement que quelque révélation, c’est pour bientôt.
Sûrement que la Seconde Venue, c’est pour bientôt.
La Seconde Venue ! A peine dits ces mots,
Une image, immense, du Spiritus Mundi
Trouble ma vue : quelque part dans les sables du désert,
Une forme avec corps de lion et tête d’homme
Et l’oeil nul et impitoyable comme un soleil
Se meut, à cuisses lentes, tandis qu’autour
Tournoient les ombres d’une colère d’oiseaux…
La ténèbre, à nouveau ; mais je sais, maintenant,
Que vingt siècles d’un sommeil de pierre, exaspérés
Par un bruit de berceau, tournent au cauchemar,
– Et quelle bête brute, revenue l’heure,
Traîne la patte vers Bethléem, pour naître enfin ?

(traduction Yves Bonnefoy)

About Annie Mavrakis

Agrégée de lettres et docteur en esthétique, Annie Mavrakis a publié de nombreux articles ainsi que deux livres : L'atelier Michon (PUV, février 2019) et La Figure du monde. Pour une histoire commune de la littérature et de la peinture (2008).

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