Devant le tableau : une lecture des « Onze » de Pierre Michon (« Poétique » n°161)

« Qu’est-ce qu’un grand peintre ? » se demandait Pierre Michon au temps de Maîtres et Serviteurs[1]. De quoi est faite l’exception mystérieuse qui constitue un maître ? Comment devient-on Goya, Watteau, Van Gogh ? Dans Les Onze[2], l’auteur semble revenir sur cette énigme lorsqu’évoquant « cette poignée de peintres qui ont été élus on ne sait pourquoi par les foules, ont bondi dans la légende quand les autres demeuraient sur le rivage, simplement peintres », il glisse le nom du personnage fictif des Onze dans la litanie de ceux qui sont « plus qu’ils ne furent » : « Giotto, Léonard, Rembrandt, Corentin, Goya, Vincent Van Gogh » (pp. 65-66). Est-ce à dire que l’ancien questionnement reste à l’ordre du jour ?
Certes, le lecteur de Michon croit se trouver dès les premières pages en terrain familier. Il reconnaît le « je » quelque peu flottant du témoin ou du biographe qui, cherchant à approcher son objet (un peintre, un écrivain), brode en marge de la vulgate, des « on sait » et des « on dit ». Et en effet le thème autobiographique de l’échec frôlé et du salut in extremis n’est pas étranger aux Onze : comme le Saint-Martin de « Fie-toi à ce signe »[3], par exemple, le chef-d’œuvre de Corentin, fruit d’une commande inattendue, « improbable », est « peint de la main de la Providence » (p. 44). Cette fois pourtant, le livre n’est pas principalement construit autour d’un artiste que la « chance » (p. 43) tire d’affaire. Pierre Michon en a fini avec cette problématique venue de Vies minuscules[4], même si on la retrouve sur le mode mineur quand est évoquée la faillite, en tant qu’écrivains, des « onze » figures du tableau de Corentin, des onze icônes révolutionnaires qui sont aussi onze fois Corentin « de la Marche », le père du peintre.
Le titre des Onze vient d’un tableau parce que c’est d’un tableau qu’il s’agit avant tout dans ce livre, tableau qui « avait tout pour ne pas être » (p. 43) et que le récit arrache à l’inexistence, posant la question de la survie de la peinture à travers le rapport que nous entretenons avec elle. C’est pourquoi le récit prend la forme – théâtrale – d’un monologue, adressé à un lecteur en passe de (re)devenir spectateur.
On peut dire que Les Onze est l’exact inverse du Saint-Martin de « Fie-toi à ce signe »[5] : il importait alors que Lorentino, pour son salut, produisît un chef-d’œuvre, même inconnu[6]. La « sacro-sainte toile des Onze » (p. 107) est au contraire « le tableau le plus célèbre du monde » (p. 113) et elle est en sécurité au Louvre. C’est en sa faveur que s’est ouverte « la poche de la chance » et déliée « la bourse spéciale pour la solde des choses impossibles » (p. 44). Corentin n’étant qu’un instrument, on ne le verra pas aux prises avec le doute, ni dans ce moment critique où tout se « décide », comme dans les autres « vies » de peintres michoniens (Maîtres et Serviteurs, Vie de Joseph Roulin ou même Le Roi du Bois)[7]. D’ailleurs, quoique qualifié de « hasbeen » (p. 88), l’ancien disciple de Tiepolo est déjà, et incontestablement, un « maître ». La perspective d’« honorer une commande » l’amuse et même, dit-il, le « rajeunit » ; on est loin de Frenhofer jouant sa vie sur sa Belle Noiseuse[8]. En somme, Corentin s’est trouvé là au moment où on avait besoin d’un peintre et c’est « tombé sur lui » : parce qu’il a connu jadis l’un des commanditaires, Collot d’Herbois, et aussi sans doute parce qu’il est accommodant, s’étant recyclé sans heurt apparent dans la mythologie révolutionnaire au service de David, ce qui le qualifie a priori pour cette mission : « Tu sais peindre les dieux et les héros, citoyen peintre. C’est une assemblée de héros que nous te demandons » (p. 90).
D’autres raisons, plus essentielles, interviennent dans le choix de Corentin ou plutôt dans son élection comme auteur des Onze. Elles ont à voir avec ce qu’il est, sa donne biographique ou généalogique et surtout sa capacité peu commune de mettre « son temps à son service » au lieu de se « mettre au service de son temps »[9], c’est-à-dire tout le contraire de ce qui est attendu de lui ; mais les « trois sorciers » qui l’ont convoqué une nuit de janvier 1794 ne s’en doutent guère ; ils ne voient en Corentin qu’un exécutant commode pour leur visée politique : dénoncer la folie de grandeur de Robespierre et des « robespierrots » du Comité ou à défaut leur rendre hommage[10].
L’essentiel, la donnée première, incontestable, c’est donc le tableau, quel que soit le prix que sa réalisation a pu coûter. Ainsi s’explique le fait que, cette fois, les affres de la création sont épargnés au peintre. Pas de « galères » ni de « rames de plomb » comme pour Goya dans « Dieu ne finit pas »[11] : la mer est « signée » du premier coup. Commande vaut exécution : le tableau, sera, on le devine, peint en quelques jours, dans l’euphorie et l’exultation. Magiquement.
Ainsi le destin de Corentin apparaît-il subordonné à une instance supérieure : ce pourrait être l’Histoire ; ou le Peuple car non seulement la toile qui donne son nom au livre est le fruit de la Terreur mais, montrant les chefs révolutionnaires, elle est aussi la revanche des calibans éternels, ceux, originaires du Limousin et de la Marche, que l’on exploitait à mort sur les chantiers de construction, et les autres. Les petits, les sans-grade, les damnés de la terre relèvent la tête dans le tableau de Corentin où, sous les traits de leurs représentant les plus terribles, ils peuvent enfin nous toiser de haut comme des cardinaux de Philippe de Champaigne. Ce sont eux les vrais commanditaires : « les enragés de l’Hôtel de Ville, la Commune, les féroces enfants à grandes piques, les tribuns limousins » (p. 44). Leur revanche est d’autant plus éclatante que Les Onze est le fleuron du Louvre : Michon s’enorgueillit de l’y avoir installé de force.
« Historique » ou politique, son livre ne l’est pourtant que secondairement. C’est surtout d’art qu’il nous parle, de la peinture, cette « puissance » qui englobe tout dans une miraculeuse résolution des contraires. Car l’art est plus fort que le pouvoir, « l’art baise la politique : voilà ce que dit ce tableau »[12]. Or la Terreur révolutionnaire est la contradiction en acte : ses chefs s’aiment et ils s’entretuent ; ils se soucient de l’éducation du peuple et le persécutent. Les têtes tombent par milliers au nom d’un idéal élevé d’humanité. Ce qu’il s’agit donc de peindre, à travers cette entité éminemment instable qu’est le Comité de Salut Public, c’est ce qui ne peut se peindre : la virulence même de l’antagonisme, le tranchant du couperet ; les rêves abandonnés, les échecs de ceux qui aspirèrent jadis à s’illustrer autrement.
Corentin ne mesure pas tout de suite le défi que représente une commande acceptée contre un tas d’or mais un regard sur son vieil ami Collot d’Herbois, l’ancien acteur shakespearien propulsé sur la scène grandeur nature du monde, lui révèle à la fois que la contradiction est irréductible et qu’elle peut s’incarner, donc se représenter : « le zèle compatissant pour les malheureux et la plaine des Brotteaux, la table hospitalière et la lande de Macbeth, la main tendue et le meurtre, nivôse et avril, c’est dans le même homme. C’est dans Collot, un de ces onze hommes qu’il va peindre. Il se dit encore que tout homme est propre à tout. Que onze hommes sont propres à onze fois tout. Que cela peut se peindre » (p. 119, je souligne).
Alors que la rencontre avec les trois commanditaires (et les supputations qu’elle inspire à ce « bonimenteur » qu’est le narrateur[13]) occupe deux des quatre chapitres de la deuxième partie des Onze, quelques lignes suffisent pour évoquer la conception, il faudrait presque dire la révélation, du tableau ; ce passage capital, après lequel le peintre disparaît, donne une fois de plus à l’inspiration artistique les couleurs de la grâce, entre le Caravage de la Conversion de Paul et Pascal :
« Sa joie grandit. Sa joie sonne. Il écoute le souvenir des cloches. Il les entend quand elles s’ébranlent, quand elles croissent, quand elles sont à leur plein, quand elles décroissent. Quand elles s’arrêtent. Ses larmes de joie Collot ne les voit pas dans le noir, ou il croit que c’est de froid. Il est trois heures de la nuit. Allons, il est temps de se quitter, Collot déjà va seller l’autre cheval. Il l’amène sous le porche, il tient la bride : le cheval, les deux hommes, parmi les cloches enclouées. La lanterne, ils l’ont éteinte. Ils s’embrassent. Ils ne se reverront plus. (p. 119) »

Corentin
Il ne reste donc que Les Onze. Et si les circonstances de la biographie de son auteur[14], si sa généalogie nous intéressent, c’est parce qu’elles tiennent de très près à ce dont le tableau du Louvre est fait.
Corentin est censé être parfaitement documenté, comme l’atteste la « très longue tartine, la tartine qui occupe tout le mur de droite en entrant » » dans « la petite antichambre explicative » (p. 52) ; mille biographes se sont occupés de lui, ont confectionné sa légende. Pourtant nous ne disposons, sur sa vie et sa carrière, que de rares repères. Peu de dates et de précisions autres que généalogiques : la naissance en 1730 à Combleux, dernière écluse du canal d’Orléans creusé sous les ordres de Louvois par son grand-père Elie, un vieux huguenot apostat. L’ancêtre paternel, limousin lui aussi, s’est enrichi plus modestement dans le commerce du vin et du vinaigre. Tous deux ont « bondi » au-dessus de leur condition, l’un plus haut que l’autre. François-Elie héritera de leur force ou de leur chance[15]. En attendant, il a grandi à Combleux, idolâtré par sa mère et sa grand-mère, le père ayant déserté le foyer familial.
Une série de jalons très espacés permet de suivre, de loin, sa carrière. Il est vers 1750 l’apprenti de Tiepolo à Würtzburg, après quoi rien pendant un quart de siècle. La gloire des Onze semble avoir escamoté après coup la plupart de ses productions antérieures et fait ensuite le vide. Seules émergent trois dates (1774, 1784, 1794), déterminées à la fois par le millésime de Vies minuscules (1984) et par celui de la commande. Vers 1774, Corentin aurait exécuté une œuvre destinée au « grand hall à Louveciennes » à la demande du marquis de Marigny pour la Pompadour[16], œuvre dont nous ne saurons rien sinon qu’elle paya le petit hôtel parisien où le peintre vit encore vingt ans plus tard, en ventôse an II, à l’époque des Onze. En 1784, Les Sibylles, encore une grosse commande, lui permet de liquider le souvenir de sa mère et de sa grand-mère, fille et femme d’Elie, par cette « opération magique » qui transforme en terreur – c’est-à-dire en absolu – l’amour des femmes[17]. Une chose est sûre : dix ans avant Les Onze, c’en est définitivement fini du jouvenceau tiépolien : le peintre a déjà la tête du cordonnier Simon.
De ses parents, François-Elie a reçu une hérédité significativement clivée, clivage déjà perceptible dans le double prénom malgré l’effort de la liaison[18] pour combler la fêlure originelle et faire tenir ensemble les parties disparates qui le constituent. Déjà Suzanne, la mère, est le fruit du mariage contre nature du vieil ogre Elie avec une timide aristocrate, ce qui fait d’elle une « belle » de conte de fée mais aussi quelqu’un « qui aim[e] le désir »[19]. Son mari François Corentin dit « de la Marche », poète-abbé défroqué monté à Paris « en pure perte » pour y être écrivain, porte en lui, « dissimul[ées] sous le petit collet » ou sous les plumes, « cette indignité secrète, cette puissance de reniement » (p. 41), ce « déchirement » qui le désignent pour être le père du « Tiepolo de la Terreur » François-Elie Corentin.
C’est via le nom de « Combleux » que se transmet la dialectique du « comble » et du « manque » qui commande Les Onze, le tableau comme le récit. Le comble semble être le legs d’Elie, le maître de Combleux, qui sut satisfaire son appétit sexuel de pouvoir. Le manque, l’inconsistance (à laquelle n’ont remédié ni la fausse particule, ni la vocation littéraire), vient de François, que « les mille biographes de François-Elie sont bien en peine de […] faire paraître à Combleux » (p. 46). Ce n’est pas un endroit pour lui, en effet, quoique l’hérédité qui fonde le peintre et son tableau soit assez retorse pour qu’il y ait aussi du « comble » du côté de François Corentin le renégat, le « Limousin déguisé » (p. 41) ; sa faillite en tant qu’auteur l’apparente en effet aux onze commissaires (tous ou presque écrivains faillis), aux onze agents de la Terreur, « comble de l’histoire » (je souligne) que peindra un jour son fils.
Avec le nom d’Elie, celui-ci a reçu à la fois la nature ogresse de l’aïeul huguenot et celle du prophète biblique ; de son père, il tient celui de François, féminisé par la liaison (« Françoiz’ ») mais aussi ce qui, en lui, fera signe quand on aura besoin d’un peintre : le manque appelle sa compensation, sa « consolation »[20], comme le vide appelle l’excès, constitutif de ce comble de la peinture qu’est Les Onze[21].
A tout cela s’ajoute la note claire, vénitienne, de « Combleux » (« e blanc » disait Rimbaud), que comporte aussi l’héritage de François-Elie et qui sans doute, à sa façon, rend possible Les Onze[22] :
« A Combleux tout est clair. C’est l’enfance. C’est bien avant Les Onze, bien avant le grand tableau d’ombre dans lequel la clarté pièce à pièce est enfouie, bien avant que l’or et le soufre, le bleu, le blanc, le rouge, les couleurs trines de la République une et indivisible, dansent dans le noir, se lèvent calmement au fond de la nuit. A Combleux il fait jour. (p. 59) »
Mais par-delà cette puissante surdétermination généalogique et phonique, la grande force de Corentin, qui le désigne comme auteur des Onze, est son aptitude à s’élever au-dessus des écoles et des querelles partisanes. Baroque passé chez l’ennemi néoclassique[23] via le caravagisme, il transcende les styles et même les savoir-faire : « Toutes les techniques, il se les annexe, les vieilles comme les nouvelles »[24].
Les précisions données sur le tableau indiquent d’ailleurs, non une fade neutralité mais l’absence d’un style daté, reconnaissable. « Très simple », « sans l’ombre d’une complication abstraite » (p. 44), le tableau se définit surtout par ce qu’il exclut : « pas de plumes d’oie ni de muses, pas de front pensif, pas d’intériorité intempestive » (p. 57, je souligne). Juste onze personnages dans le costume civil ou militaire de leur fonction, auquel adhèrent toutefois quelques lambeaux précieux de jupe[25] : ceintures de soie tricolore « extravagantes », « somptueuses, cléricales » (p.101), cols alla paolesca, c’est-à-dire à la manière de Véronèse (« C’est un tableau vénitien, Monsieur, ne l’oubliez pas », p.105).
Au sens propre « intempestif, c’est-à-dire d’aucun temps »[26] et pour cela placé par Les Onze « au zénith », « sous l’aura »[27], Corentin vaut pour tous les peintres. Sans doute est-ce pour cela que son image ne parvient pas à se fixer. Sans visage, souvent vu de dos ou dans l’ombre, il se dérobe à toute identification. Devenu célèbre à cause du fameux tableau, il est à la fois partout (on ne cesse de le reconnaître) et nulle part : ses portraits connus sont récusés l’un après l’autre. Seul a résisté, reflet ou trace de l’enfant blond, du bel adolescent insolent de jadis, le détail d’un plafond de Tiepolo peint à Würtzburg. Corentin y aurait été représenté à vingt ans sous les traits d’un page à quoi « je suis sûr, affirme le narrateur, qu’il ressemblait » (p. 22). Pourtant, ce page, « ce n’est personne » (p. 12). Entre le « jeune homme tout de lumière » de Tiepolo et le « vieux crocodile »[28], sosie du cordonnier Simon, « nous ne possédons rien qui lui ressemble » (p. 13).
Après la scène de la commande en janvier 1794, c’est comme si le peintre s’était volatilisé ou avait bondi quelque part dans Les Onze, cette cène que Michon dit « lestée de l’absence » d’un douzième participant [29]. Lui ?

« Nous sommes là devant »
Ce vide, qui suggère, autant que l’absence, une présence trop forte pour être enregistrée ou même perçue caractérise également le tableau dont seul Michon sait comment il a atterri au Pavillon de Flore[30]. Pour abriter ce tableau « définitif » (p. 78), ce « joker » (p. 112), il fallait bien le « saint des saints », la « chambre terminale » du Louvre (p. 114) : à cause de la célébrité du musée bien sûr mais aussi parce que le Comité de Salut public s’y réunissait, dans la salle même où Corentin l’a ressuscité en effigie.
Métaphoriquement, la forme même des bâtiments, « la flèche colossale du Louvre » (p.133) rappelle en outre ce que dit Michon de la « forme brève [qui] n’a que son incipit et sa chute » et, « comme la flèche de l’archer, n’est déterminée que par la décision de l’archer et la cible »[31]. Le récit est d’autant plus inspiré et puissant qu’il est cette flèche vibrante encore de l’élan initial au moment où la cible est atteinte. En cela la peinture est enviable, « elle qui dans le même moment et la même main tient son incipit et sa chute »[32]. Il s’agira pour le narrateur tyrannique que Michon a installé aux commandes des Onze et dont la main ferme ne nous lâche jamais, de ramasser le récit autour du tableau, dont la composition horizontale, avec ses personnages alignés de gauche à droite, évoque à la fois une flèche et – par sa symétrie – une cible, dont le cœur est Robespierre.
Il y a donc entre le récit d’une part, le lieu et le tableau d’autre part, de secrètes affinités. Les Onze n’est pas juste un tableau exposé au Louvre ; comme nous l’apprend la fin du livre, il « est le pourquoi en dernière instance du Louvre ; sa cible ultime » (p. 133), il est la Peinture :
« La flèche colossale du Louvre, la colonnade où l’on entre, la Cour carrée qu’on traverse comme le vent, la galerie d’Apollon qu’on franchit en trois pas, les quatre cent quarante-sept mètres de la galerie du Bord-de-l’Eau qu’on passe au grand galop, […] tout cela n’a peut-être été en dernière analyse pensé par le Grand Architecte que pour nous porter au cœur de cette cible dans laquelle le Louvre s’enfonce sans un pli. » (Ibid..)
Sans le miraculeux trait d’union des Onze, peut-être n’y a-t-il plus de Louvre et plus de récit, plus de peinture ni de littérature. Le narrateur l’a admis dès le 1er chapitre : il ne saurait « faire tenir debout cette histoire des Onze » que « par la seule existence indubitable des Onze » (p. 23, pas d’italiques dans le texte). Aussi fallait-il l’exposer aux yeux de tous et y ancrer l’énonciation. Nul besoin de préciser qui est le « il » de l’incipit (« Il était de taille médiocre, effacé, mais il retenait l’attention par son silence fiévreux… ») : avant même que le mystère du titre ne soit levé, nous savons qu’il ne peut s’agir que de Corentin. Nous le savons parce que nous sommes devant Les Onze, que nous y sommes depuis le début, embarqués, sous hypnose.
Jamais un récit n’aura impliqué à ce point pour le lecteur une place à occuper, point – d’ailleurs incertain – à partir duquel se construit la visibilité (ou l’opacité) de l’image anamorphique qu’est le tableau. Les Onze impose des détours, le respect d’un protocole. Il est au Louvre mais ne se laisse pas aborder sans précautions. Voilà pourquoi le narrateur se fait guide ou interprète. Au chapitre III de la 1ère partie, c’est pour cet aveugle qu’est a priori tout lecteur que sont énumérés avec jubilation les noms des personnages[33] : « Vous les voyez, Monsieur ? Tous les onze, de gauche à droite : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Invariables et droits. Les Commissaires. Le Grand Comité de la Grande Terreur. Quatre mètres virgule trente sur trois, un peu moins de trois. Le tableau de Ventôse. » (p. 43).
La scansion magistrale de cette liste de noms[34], suivie des dimensions et de la datation, constitue l’acte de naissance littéraire du tableau, en attendant que toutes les images, tous les mots dont il est fait se soit superposés sur la « page de ténèbres » (p. 16), au gré des réminiscences ou des visions du narrateur. Ainsi se tisse le lien lecteur/narrateur qui rend possible le sortilège ou l’enchantement, qui « prouve » Les Onze, faisant du tableau ce « bloc formel d’existence » (p. 30), « tangible », « invariable », « sans réplique », sans quoi tout s’écroule.
Michon a donc besoin du lecteur et il charge régulièrement le narrateur de s’assurer par des questions ou des injonctions que le contact n’est pas rompu, que nous sommes bien avec lui où il veut que nous soyons, que nous le suivons dans ses « désirs », ses « envies », ses conjectures, que nous descendons dans la boue de la Loire s’il l’exige, que nous nous déplaçons devant la vitre des Onze quand c’est nécessaire, ce qui n’est pas la même chose, prenons-y garde, que de nous demander de regarder la toile. Page 73, il juge que « nous pouvons revenir au tableau. Nous pouvons de nouveau nous tourner vers Les Onze », ce qui implique que notre attention a été sollicitée ailleurs. Un peu plus loin, il dit : « sous nos pieds, sous Les Onze (p. 98). « Là devant nous dans le tableau du Louvre », lit-on, page 129.
Mais cela ne suffit pas encore : car tout se défait et se recompose en fonction de la position de qui regarde, de sa capacité à ne pas se laisser détourner vers d’autres images, et elles sont nombreuses comme l’anecdote mise en cadre, trop belle pour être vraie, du « mot d’enfant » sur les Limousins curant le canal (« Ceux-là ne font rien, ils travaillent », p. 67, souligné par l’auteur) ou même le sublime plafond de Tiepolo à Würtzburg qui a « rassemblé le monde dans sa recension exhaustive » (p. 12). Images moins déroutantes, moins crues et dont la fonction est de retarder le moment où il ne restera plus à voir, dans sa nudité, que l’œuvre de l’autre, du « Tiepolo de la Terreur ». C’est que « Les Onze ne sont pas de la peinture d’histoire », que nous pouvons analyser et comprendre, c’est « une pure terreur », « c’est l’Histoire » (p. 132) et l’Histoire, c’est trop fort pour tenir sur une surface de 4,30 m sur 3. Voilà pourquoi dès les premières pages le lecteur, l’éternel Pierrot michonien, réclamait un répit au narrateur :
« Puisque vous m’en priez, Monsieur, je veux bien que nous restions un instant encore dans le grand escalier. Visitons ce monceau de tonnes de marbre qui semblent voler dans les airs. Visitons, comme des niais que nous sommes. Levons le nez. (p. 18) »
Michon l’a souvent dit : ce sont des dieux que nous montre la grande peinture de portrait : le tableau exposé au Pavillon de Flore est « un fétiche à onze têtes » et ces onze têtes nous regardent. Il ne saurait être décrit[35]. D’ailleurs, devant cette image qui ne se donne que par fragments et en éclipse, la place juste n’existe pas :
« Voyez comme les reflets changent sur la vitre quand on se déplace un peu. Comme je vois clairement l’habit noir de Couthon, soudain, sur sa chaise d’or acide. Non, pas de l’or, du soufre, l’or est pour Saint-Just. Et si je fais deux pas quel luxe sur les franges espagnoles de l’écharpe aux trois couleurs du représentant Saint-André, à l’autre bout. Deux pas encore et tout est sombre. Que regardent-ils là-dessous, Monsieur ? Quelle revanche, quelle défaite ? (p. 58) »
Le chef-d’œuvre absolu de Corentin nous ramène ainsi au Chef-d’œuvre inconnu de Frenhofer [36], pas comme à un échec mais comme à une piste possible. Il y a bien au Pavillon de Flore un tableau et un tableau magnifiquement accompli, mais on n’y accède pas par les voies habituelles, en tout cas pas par l’ekphrasis, cette médiation artificielle et toujours insuffisante. Il faut tenter autre chose. C’est ce que fait le narrateur depuis le début avec ses manœuvres dilatoires et c’est pour cela qu’il a besoin de Michelet.

Voir et faire voir
Voir est l’enjeu majeur et aussi la difficulté. Les regards ricochent sur la vitre et s’égarent. En posant le livre, on a ce moment de flottement qui suit le réveil. Pourquoi, convoqué devant le portrait collectif des Commissaires de la Terreur, nous souvenons-nous si intensément d’un enfant blond qui descend les marches de la maison familiale, d’un Limousin enfoncé dans la boue qui désire une belle aristocrate, de cette même aristocrate désirant le Limousin embourbé ou entrant nue dans un château sadien, d’un page montant quatre à quatre l’escalier céleste d’un palais à Würtzburg, d’un vieux peintre en manteau clair longeant un canal, d’une cène caravagesque dans une sacristie parisienne ? Qu’avons-nous vu au juste ?
Commandé une nuit d’Epiphanie, Les Onze est moins une apparition qu’un palimpseste ou un écran qui a la propriété de faire voir bien plus que ce que le tableau est censé représenter. C’est pourquoi le dispositif narratif est hallucinatoire : l’incantation hypnotique vise à confondre narrateur et spectateur dans une même contemplation :
« […] je vois de la pluie sur le monde ; je vois les chalands embâclés et parmi eux, plus haute, féminine, ventrue, cette énorme gabarre de Nantes échouée depuis novembre 1783 face à Chécy sur le plat-bord de poupe […] – je vois ce prodigieux alambic gorgé d’eau se défaire en planches pourries sous deux ou trois corneilles. Je vois les saules nus de mars et les vols de hérons ; je peux voir aussi sous leur chapeau crevé les va-nu-pieds qui hantaient alors les écluses, les trépas de fleuve […] ; je les vois pleurant de faim affalés sur les grandes levées invariables et droites, le corset de pierres dures, le corset qui ne varie pas sous les variations de l’eau ; tout le pittoresque et le pictural, le fret universel qui fait les beaux tableaux, je le vois, comme Tiepolo, comme Fragonard ou Robert, comme Corentin » (p. 61-62, je souligne).
Et justement, ces peintres, il faudrait les imiter et se taire mais c’est impossible car le tableau est fait de mots à nous adressés :
« Comme je voudrais le voir vraiment et me taire, m’absorber dans ce que je vois, au lieu de vous casser les oreilles avec mes théories approximatives […] Comme je voudrais le voir, là – les voir tous les trois (comme à cet instant nous voyons Les Onze) elles et lui, arrêtés sur la levée, un peu par en dessous, comme si j’étais en contrebas un Limousin sous une hotte de boue, dans la boue de Loire jusqu’aux cuisses, tout à ma besogne de ténèbres un jour de juillet ; comme un Limousin regarderait un tableau, si les Limousins et les tableaux se rencontraient. Et il se peut que nous soyons ce Limousin, vous ou moi » (p.70).
« Vous ou moi ». Le narrateur ne pouvait mieux demander au lecteur de prendre le relais pour que la distance qui les sépare se réduise le plus possible et qu’enfin il nous soit donné de voir.   Tout au long du récit, il a fait miroiter le tableau à notre intention comme un « prestidigitateur »[37]. Et c’est peut-être cela, Les Onze, sous sa vitre : un chatoiement, un miroitement. Tous les tableaux du Louvre en un seul. Le narrateur y est pris lui-même : « je ne peux m’empêcher de voir comme dans un reflet en surimpression le vieux crocodile en manteau blanc errer lentement sur les jetées » (p. 61, je souligne). Certaines choses sont visibles pour les uns et pas pour d’autres, aussi nous prend-il à témoin, comme si nous étions garants d’une certaine vérité, contre Michelet ou d’autres commentateurs : « Moi, dit-il, je ne vois pas la lanterne carrée, là, devant nous, dans le tableau du Louvre » (p.129, je souligne).
Qu’a donc vu le « Michelet » de Michon au Louvre dans sa jeunesse ? Pas Les Onze d’après le narrateur. « Falsification » ou « reconstruction de mémoire » (p. 128), d’autres images sont venues à la rescousse : peut-être le Tres de Mayo à cause de la fameuse lanterne, ou une esquisse de style caravagesque de Géricault : Corentin recevant l’ordre de peindre Les Onze, à moins que ce ne soit une pure et simple reconstitution à partir du « pèlerinage » fait sur les lieux, à la sacristie de l’église Saint-Nicolas, par l’historien en 1846. Toujours est-il que c’est la scène (la cène) de la commande qui est décrite dans les douze pages facétieusement « ajoutées » par Michon, à sa façon borgésienne, au chapitre 3 du seizième livre de l’Histoire de la Révolution française.
Et là, surprise : l’ersatz des Onze est peut-être ce qui donne accès aux Onze. Car « cette fable […] qui vient de sortir de [l’] esprit [de Michelet » et « l’enivre, l’emporte, et il l’enfourche sans ambages » (p.129, je souligne), cette fiction est « juste ». Ce n’est qu’une extrapolation ou une falsification, mais elle nous suggère que, pour voir, il faut inventer. Tel est, en effet, le paradoxe auquel nous confronte le livre. Toute vision s’accomplit sur le mode inchoatif : en principe, chacun peut voir, au présent de cette énonciation tantôt fracassante, tantôt mélancolique qui est celle narrateur légitimé par sa vieille « fréquentation » du tableau (p. 63) ; mais nul ne peut dire ce qu’il a vu. Réunis, « comme des frères », alignés et costumés par Michon / Corentin [38], les onze se dressent devant nous et nous aveuglent. Le lecteur doit tenter l’épreuve du voir, ici et maintenant, en faire l’expérience forcément intransmissible.
« A sa table d’écriture, venant d’inventer et d’énoncer sa propre fable d’un cheval riant dans la nuit » à partir du « bric-à-brac prodigieux et prodigieusement encombré qui lui tient de mémoire, utilisant « pour guides et repères d’autres peintures, l’Officier de chasseurs de Géricault, une bataille de Rubens, les illustrations que fit pour Macbeth Füssli, ou la jument emblématique du Cauchemar de ce même peintre » [39], Michelet ne décrit pas le tableau mais peut-être a-t-il trouvé une voie qui y conduit. Sous l’effet du « choc »[40], « dans le grand vent de lumière qui au Louvre vers 1820 [le] fit chanceler » (p. 130), il a décelé dans l’œuvre de Corentin ce que la fiche du Louvre, la notice de la petite antichambre et même la vision du narrateur n’indiquaient pas :
« Il y a vu une cène laïque, précise-t-il, celle où bravement on sacrifie encore le pain et le vin en l’absence du Christ, malgré cette absence, par-dessus cette absence, car on est devenu plus fort que cette absence ; il a vu et bien vu que c’était une véritable cène, c’est-à-dire en onze hommes séparés une âme collective, et non pas une simple collection d’hommes. Et en cela il n’est pas sans raison […]. Et puisque c’était une cène, il fallait bien qu’il y eût une table, et sur celle-ci les pains de quatre livres et le vin de Clamart ; aussi les extrapola-t-il, pain et vin (p. 130). »
Le narrateur refuse d’abord de « suivre » celui qu’il appelle Michelet. Mais il se ravise. Comment être sûr ? « Quelque chose pourtant comme une lanterne éclaire bien Les Onze, mais quoi ? Je ne vois pas non plus la sainte table, quoique sans doute il faille bien qu’il y ait quelque chose comme une table pour recevoir à mi-hauteur le chapeau de Prieur de la Marne qui ne tient pas tout seul, qui ne flotte pas en l’air à la hauteur de sa ceinture par la seule vertu du Saint-Esprit. Et surtout je ne vois pas les chevaux. Et vous, Monsieur, les voyez-vous ? ».
Oui, nous les verrons mais au préalable une opération est encore nécessaire : quitter le Pavillon de Flore et, seul cette fois, refaire tout le chemin qui conduit au tableau, à la Peinture : « de nouveau faites volte-face, de nouveau par artifice pénétrez dans la grande salle où à l’exclusion de tout autre tableau se tient Les Onze ; si vous vous arrêtez alors sur le seuil et regardez Les Onze comme si vous les voyiez pour la première fois – alors oui vous savez presque à quoi cela vous fait penser » (p. 135).
Les chevaux y sont bien en effet. « Michelet dans son rêve ne s’est pas trompé tout à fait […], il y a au Louvre onze formes semblables à des chevaux, onze créatures d’effroi et d’emportement » (p.136). Leur surgissement est emblématique de ce dont, depuis Lascaux, depuis « le commencement de tout », la peinture s’est occupée comme le montre la superbe énumération de la dernière page. Non pas simplement de représenter le monde, mais, « tyranniquement », de faire exister ce qui « nous ressemble » et qui n’est « pas nous » : « les forces, les puissances » (p. 137).

(Le texte ci-dessous est paru dans le numéro 161 de Poétique (février 2010). Deux autres textes sur Les Onze sont disponibles sur le présent blog : Corentin le fils et Relire Les Dieux ont soif à la lumière des Onze. A lire donc en attendant une étude plus vaste, en préparation, portant sur l’oeuvre de Pierre Michon)


[1] Maîtres et Serviteurs, éditions Verdier, 1990, 4e de couverture. Souligné par l’auteur.
[2] Editions Verdier, 2009.
[3] Maîtres et Serviteurs, op cit.
[4] Gallimard, 1984.
[5] Maîtres et Serviteurs, op. cit.
[6] On se souvient que le Saint-Martin de Lorentino, « peut-être la plus belle chose qu’on ait faite sur la terre » (p. 130) finit par boucher un trou dans le mur.
[7] Parus chez Verdier. J’ai étudié ensemble ces figures de peintres michoniens dans le chapitre intitulé « Le polyptyque de Pierre Michon » de mon livre La Figure du Monde, pour une histoire commune de la littérature et de la peinture, L’Harmattan, 2008, p 213 à 230.
[8] Frenhofer, on s’en souvient, avait poursuivi jusqu’au bout sa folie démiurgique. Dans son histoire, la peinture apparaît comme une tentation funeste. Rien de tel dans Les Onze même si finalement le peintre michonien est « tué » par son tableau (au moins dans la fiction) comme son collègue balzacien.
[9] Interview Daniel Martin, La Montagne, 7 juin 2009.
[10] « En cas d’échec il montrera la soif de gloire du Comité de salut public, son penchant pour la tyrannie. En cas de succès, il passera pour une célébration anticipée de leur légitimité démocratique » (interview de Pierre Michon parue dans L’Humanité du 7 mai 2009). En ce sens c’est un « joker ».
[11] Dans « Dieu ne finit pas », Goya assimile le travail du peintre à celui du galérien : « ce qu’est peindre, c’est travailler comme sur la mer un galérien rame, dans la fureur, dans l’impuissance ». Il a longtemps attendu ce miracle : que le monde naisse de sa main, « que le galérien signât de sa main la mer », Maîtres et Serviteurs, op. cit., pp. 32-33.
[12] Interview de Michon par Daniel Martin, La Montagne, 7 juin 2009.
[13] Cf. interview de L’Humanité (op. cit.) : « Le narrateur est un bonimenteur qui s’adresse au lecteur avec ce « Monsieur » perpétuel. »
[14] Ces circonstances renvoient évidemment à l’autre auteur des Onze, c’est-à-dire du livre. Michon  lui-même a attiré l’attention sur les ressemblances entre Corentin et lui. L’âge par exemple : 63 ans ainsi que l’origine limousine. Il a aussi précisé : « le portrait physique de Corentin, c’est moi » (Matricule des Anges, mai 2009) et fait remarquer que le livre et le tableau sont le fruit d’une commande : par le directeur de Verdier, Gérard Bobillier pour le livre, par Proli et ses deux acolytes pour le tableau.
[15] Jean-Pierre Richard notait « la faiblesse des rôles masculins » dans Vies minuscules et en particulier l’inconsistance « la débilité des deux grands-pères » (Chemins de Michon, p. 19). Les Onze, a-t-on envie de dire, c’est un peu la revanche du grand-père.
[16] Autant qu’à la « maman-putain » et à son frère, l’allusion à Louveciennes nous renvoie à la du Barry et à Fragonard, autre « hasbeen » et  auteur pour Louveciennes d’une série de toiles montrant la jeune fille « s’éveillant à l’amour ». On se plaît alors à imaginer que le peintre des Onze, l’auteur de la « page de ténèbres », a habité un temps la « défroque » de Fragonard…
[17] « C’est de la même façon que sa mère, sa grand-mère, les créatures d’amour souffrant, sont devenues sous sa main les terribles Sibylles, cinq fois comme il y a cinq Sibylles » p. 118.
[18] Prononcer : « Françoizélie » p. 70.
[19] Le côté « sadien » avec « l’ombre du vieillard » (p. 33), dont on ne parle pas mais qui a pourtant  été transmis à François-Elie par les femmes. Sa mère « aimait le désir à cause des dix lieues de désir satisfait visibles depuis Orléans jusqu’à Montargis » (p. 41).
[20] Michon explique dans son entretien avec Daniel Martin qu’« en dernière analyse, même en le massacrant, Corentin console la vie bousillée de son père, le fantôme de son père. » (op. cit.)
[21] Comme son auteur est le comble du peintre, tel son maître, le magicien Tiepolo, « des pieds à la tête à lui-même adéquat », p. 21.
[22] Sans compter le « con bleu » (de l’héritière à sang bleu de Combleux), attesté dans une comptine populaire locale dont m’a parlé Pierre Michon (« Combien y a-t-il de filles à Combleux… »). Tout  cela en dit long sur les pouvoirs du signifiant dans ce texte.
[23] C’est-à-dire David.
[24] Interview Daniel Martin, La Montagne, 7 juin 2009.
[25] Celle, tiépolienne, de Béatrice de Bourgogne et celles de la mère et de la grand-mère, dans lesquelles il a fallu trancher (cf. p. 22)
[26] Ibid.
[27] P.133
[28] Dixit Diderot une trentaine d’années plus tard. Notons au passage que, comme me l’a signalé l’auteur, dans les quatre parties du monde représentées par Tiepolo à Würtzburg, il y a un crocodile… Les deux  « images » de Corentin sont donc empruntées au Vénitien.
[29] Cf. interview de L’Humanité (op. cit.).
[30] Michon a choisi de ne pas le dévoiler mais a promis de publier un jour les passages non retenus pour le livre.
[31] Le Roi vient quand il veut, Editions Albin-Michel, 2007, p. 208.
[32] Ibid.
[33] Michon a expliqué à plusieurs reprises que « le ‘‘visuel’’ [est] un effet de cette énumération. » (Ibid, Livre Hebdo n° 772)
[34] J’ai commenté ailleurs le rythme étonnant de cette phrase (cf. « Corentin le fils, le sixième peintre de Pierre Michon », écrit en avril 2008 à propos des trois chapitres alors disponibles (Dalhousie French Studies n°87, ou sur le site des éditions Verdier, à la page des Onze).
[35] « C’est du visuel. J’ose espérer qu’il en résultera quelque chose comme une vision pour le lecteur. Pour moi, je n’ai cessé de voir le tableau que peint Corentin, mais ce n’était jamais à chaque fois tout à fait le même tableau : d’où mon parti pris de ne jamais véritablement le décrire ; on connaît l’ordre des noms dans lesquels sont désignés les onze terroristes […], on connaît leur visage par l’archive, j’ai inventé leur vêture, on sait que ces hommes sont debout (sauf Couthon, le paralytique sur son trône). Peut-être que cela suffit. » (Livre Hebdo n° 772, 10 avril)
[36] « Il y a une femme là-dessous » s’exclamait Poussin devant la « muraille de peinture » de Frenhofer d’où émergeait un pied parfait, quasi vivant). Par une réminiscence significative, le mot de « muraille » qui qualifiait le tableau du peintre balzacien s’est retrouvé sous la plume de Michon (p. 132 : « la très énigmatique muraille de onze hommes sur quoi l’histoire s’est juchée ».)
[37] Le mot est de Michon (cf. interview d’Irigoyen  sur le blog d’Arte Info)
[38] Le costume des conventionnels est présenté comme l’œuvre de Corentin et même comme ce qu’il a fait de mieux avant Les Onze.
[39] Pp. 128-129. Michon dont « Michelet » est évidemment une modalité (quelle chance supplémentaire que cette presque homonymie !) a procédé de la même façon, en s’inspirant de tableaux d’Uccello, de Goya, de Champaigne, etc., présentés comme les « précédents » de l’œuvre de Corentin.
[40] « Et certainement que Michelet, dans le premier choc que lui causa le tableau (il a cru s’évanouir, écrit-il, et on veut bien le croire) a eu sur le champ la révélation dont il tirera plus tard la célèbre exégèse qui tient en douze pages », p. 130.

About Annie Mavrakis

Agrégée de lettres et docteur en esthétique, Annie Mavrakis a publié de nombreux articles ainsi que deux livres : L'atelier Michon (PUV, février 2019) et La Figure du monde. Pour une histoire commune de la littérature et de la peinture (2008).

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