Bacon, Study for a portrait march 1991

J’évoquais dans un précédent article le premier portrait de Bacon. Celui de 91 est, sauf erreur de ma part, le dernier. Comme le souligne Peppiatt dans sa biographie[1], le peintre alors âgé de 82 ans était à bout de forces mais s’acharnait au travail malgré l’aggravation de son asthme et un cancer du rein récemment opéré. La rencontre un nouveau modèle (le jeune artiste Antony Zych) était peut-être de nature à le stimuler même si, à son grand dépit, le jeune homme ne s’était pas reconnu dans une oeuvre précédente [2].

Étude de portrait, mars 1991
huile et pastel sur toile, 198 × 147.5 cm
Galerie nationale d’Ecosse, Edimbourg

Il est vrai que Bacon, comme à son habitude, avait combiné ses traits avec ceux d’un autre modèle. L’homme regarde sur le côté, comme s’il venait juste de tourner la tête, geste qu’indique, sur la joue et le menton, une vague de peinture blanche. Ses traits, pourtant dessinés avec précision, en paraissent presque estompés. On est surtout frappé par son teint plombé, qui se distingue peu du vêtement. C’est inhabituel à une époque où les carnations sont plutôt rosées, avec des rehauts blancs. Ici, le sang paraît s’être retiré des chairs.
Comme souvent dans ces années, la composition mêle stricte géométrie et figuration détaillée, étrangeté et réalisme des détails. Sur un fond orange vif au pastel se découpe un rectangle noir. Placé au milieu de la partie supérieure du tableau, il pourrait figurer l’intérieur d’une pièce d’où sortirait le personnage par une porte blanc-bleu comme vitrée, qui pas plus que le rectangle noir, n’est au niveau du sol. L’homme est devant cette ouverture, partiellement reflété dans la porte. Ainsi coexistent, pour cette figure comme surgie du néant, deux modalités de la représentation : ce qui est recadré dans la vitre (une bonne partie du corps, la jambe gauche étant coupée à la hauteur du genou) et ce qui est hors du cadre, le côté droit, épaule et jambe complète, jusqu’à la chaussure marron lacée de blanc avec son ombre violette. Ce jeu permet des distorsions de facture, de couleur et de proportion, un morcellement qui interroge l’apparence dans son unité même.  
La porte est peut-être celle de l’atelier exigu de Bacon et un motif accrédite cette hypothèse : le tabouret placé devant lui, sur lequel se détache une petite flèche blanche, pointe vers le bas. Ce meuble bizarre a été vu dans le triptyque de 1988 (Tate Gallery).

Deuxième version du triptyque de 1944
1988, Tate Gallery, panneau central

Objet sans usage, soigneusement poli comme une sculpture, emblème peut-être de ce mélange de vraisemblance et d’irréalité dont est faite la peinture de Bacon. Sa reprise ici ne relève-t-elle, comme le suggère Martin Harrison, que d’un « self referential atavism[3]»  un peu gratuit? Ne pourrait-on imaginer qu’à l’approche de la mort, le peintre qui avait déjà produit un remake de son oeuvre la plus célèbre ait, par cette auto-citation, voulu relier le dispositif majestueux du triptyque « à sujet » et l’étude de portrait ?


[1] Hachette UK, 1996, réédité en 2009.
[2] Ce qui ne fut pas le cas pour ce tableau, comme nous l’apprend Martin Harrison : « When he did get to see Study from the Human Body, 1991, Zych noted its ‘passport-photo likeness, at least in the portrayal of the head and face’. This is despite the fact that, as Katharina Günther has identified in her book Metamorphoses, the likeness was also derived from a photograph of boxer Yvon Durelle », Catalogue Raisonné, The Estate of Francis Bacon, 2016, p. 1384.
[3] Ibid.

About Annie Mavrakis

Agrégée de lettres et docteur en esthétique, Annie Mavrakis a publié de nombreux articles ainsi que deux livres : L'atelier Michon (PUV, février 2019) et La Figure du monde. Pour une histoire commune de la littérature et de la peinture (2008).

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